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Ajout d'un billet au sujet de l'émission Secrets d'Infos diffusés sur France Inter...
authorLunar <lunar@anargeek.net>
Mon, 15 Jun 2015 18:12:59 +0000 (20:12 +0200)
committerLunar <lunar@anargeek.net>
Mon, 15 Jun 2015 18:12:59 +0000 (20:12 +0200)
Actualités/20150615_france_inter_secret_d_infos.mdwn [new file with mode: 0644]

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index 0000000..e47233b
--- /dev/null
@@ -0,0 +1,214 @@
+[[!meta title="À propos de l'émission Secret d'Infos du 12 juin 2015 sur France Inter"]]
+[[!meta date="2015-06-15 20:10:00"]]
+
+L'adresse de contact de Nos oignons a reçu un courriel d'Hélène
+Chevallier de France Inter fin avril 2015 nous sollicitant pour une
+interview.  Nous lui avons demandé de préciser ce qu'elle entendait par
+le terme « DarkNet ». Sa réponse :
+
+> On entend parler beaucoup de DarkNet ces derniers mois, royaume des
+> trafics en tout genre. Mon but est de montrer aux auditeurs qu'il ne
+> s'agit pas que de cela, que certes Tor est utilisé par des cyber
+> criminels et autres amateurs de pédopornographie mais qu'il y a bien
+> d'autres intérêts/usages de ce réseau.
+
+Si c'est tout de même une satisfaction d'avoir au moins pu exprimer
+un autre point de vue, force est de constater, à l'écoute de
+l'[émission](http://www.franceinter.fr/emission-lenquete-inquietant-de-la-drogue-livree-a-domicile-en-deux-clics),
+que l'intention finale du reportage dans son ensemble est différente de
+celle qui nous a été présentée.
+
+Il nous semble d'abord nécessaire de rappeler que si Tor n'est pas
+interdit c'est aussi sûrement parce qu'il est un des rares outils permettant
+de garantir la liberté d'expression et la liberté d'opinion en
+ligne. Nous ne sommes pas seul·e·s à le penser et à le dire. On peut
+lire dans le [rapport publié récemment par l'Organisation des Nations
+Unis](http://www.ohchr.org/EN/ISSUES/FREEDOMOPINION/Pages/OpinionIndex.aspx)
+sur la question :
+
+> Le chiffrement et l'anonymat, ensemble ou séparément, créent une zone
+> d'intimité permettant de protéger opinions et croyances. Par exemple,
+> ils rendent possible des communications privées et peuvent protéger
+> une opinion des regards extérieurs, ce qui est particulièrement
+> important dans des environnements politiques, sociaux, religieux ou
+> légaux hostiles. Là où les états imposent une censure illégale à
+> l'aide du filtrage et d'autres technologies, l'utilisation du
+> chiffrement et de l'anonymat peut permettre à des individus de
+> contourner les barrières et d'accéder à des informations et des idées
+> sans l'intrusion des autorités. Des journalistes, des
+> chercheur·euse·s, des avocat·e·s, et la société civile dépendent du
+> chiffrement et de l'anonymat pour se protéger (ainsi que leurs
+> sources, client·e·s ou partenaires) de la surveillance et du
+> harcèlement. La capacité de faire des recherches sur le web, de
+> développer des idées et de communiquer en sécurité peut être la
+> seule manière pour beaucoup d'explorer des aspects de base d'identité
+> comme le genre, la religion, l'ethnicité, l'origine nationale ou la
+> sexualité. Des artistes dépendent du chiffrement et de l'anonymat pour
+> s'abriter et protéger leur liberté d'expression, particulièrement dans
+> des situations où celle-ci est limitée non seulement par l'état, mais
+> aussi par une société où les formes non conventionnelles d'opinions
+> et d'expression ne sont pas tolérées.
+
+À propos de drogue et de marché noir
+====================================
+
+L'inquiétude évoquée dans le titre de l'émission — « *Inquiétant : de la
+drogue livrée chez vous en deux clics* » — arrive peut-être un peu tard.
+Cela fait longtemps que c'est possible de se faire livrer certaines
+drogues en deux clics. `nicolas.com` le fait pour le vin depuis au moins
+2003.
+
+Globalement, l'angle et la méthode sont sensiblement les mêmes que [ce
+qu'avait fait la BBC en février
+2012](http://www.bbc.com/news/business-16801382). Plusieurs membres du
+projet Tor ont tendance à penser que c'est entre autres cet article qui a
+rendu populaire ces canaux de distribution de stupéfiants.
+
+Cela pose donc une question sur la démarche : bien que prétendant le
+dénoncer, présenter ainsi un moyen décrit comme facile et rapide de se
+procurer des drogues illégales en fait en réalité la publicité.
+
+Une des phrases-chocs qu'on peut entendre parmi d'autres : « ce qui nous
+est décrit ici est un véritable marché noir ». Tor est un outil de
+communication. Les trafics décrits auparavant existent dans notre
+triste monde depuis longtemps. Ce « marché noir » existe avec ou sans
+Internet, avec ou sans Tor. Il n'a jamais été très compliqué de se
+procurer un gramme d'herbe pour quiconque se balade dans Paris. S'il y a
+une nouveauté, c'est que le phénomène est ici à la vue de tou·te·s.
+
+Le grand méchant « *dark net* »
+===============================
+
+La description donnée du « *dark net* » varie au fur et à mesure de
+l'émission. C'est embêtant.
+
+Le « *dark net* » est d'abord présenté comme des « réseaux parallèles
+chiffrés ».  Mais dans ce cas une bonne partie du discours est erroné.
+L'usage principal de Tor est de permettre l'accès au web (par exemple
+franceinter.com) en se protégeant d'une surveillance au niveau du
+fournisseur d'accès ou du site auquel on se connecte. Le traffic vers
+des adresses `.onion` — effectivement internes au réseau Tor et auquel
+le qualificatif « parallèle » peut éventuellement s'appliquer —
+[représente moins de 4% du trafic du réseau
+Tor](https://blog.torproject.org/blog/some-statistics-about-onions).
+
+Dans ce contexte où la majorité des donnés que transporte Tor ne
+concerne pas des services `.onion`, dire que « le *dark net* réunit des
+millions d'internautes dans le monde » est mensonger et semble avoir pour
+seul objectif de faire peur.
+
+Il est ensuite expliqué que le « *dark net* », c'est ce qui ne se trouve
+pas sur un moteur de recherche. Pourtant, une recherche Google avec
+« envoi anonyme de document vers les médias » me permet d'accéder au
+site [SourceSure](https://www.sourcesure.eu/) mis en place par plusieurs
+grands médias francophones, dont *Le Monde*. L'adresse du site
+permettant de communiquer avec les journalistes est
+`hgowugmgkiv2wxs5.onion`.
+
+Par ailleurs, il suffit de se rendre sur Ahmia pour faire une recherche
+sur les sites `.onion` **publics**. Par exemple, on peut
+[facilement](https://ahmia.fi/search/?q=freedomofpress) y trouver
+le site `.onion` de la [Freedom of the Press
+Foundation](https://freedom.press/).
+
+C'est également contredit un peu plus tard dans l'émission en expliquant
+qu'il est facile de trouver des adresses de sites `.onion` dans un moteur
+de recherches avec « trois mots clés ».
+
+Il est curieux d'entendre dire « **le** *dark net* » pour ensuite se voir
+expliquer que les logiciels à utiliser sont différents, sachant donc que
+chacun d'entre eux permet l'accès à des réseaux différents, avec des
+applications et des contenus différents. Quel est l'intérêt de présenter
+comme uniforme ce qui ne l'est pas ?
+
+Quand François Paget présente son carnet d'adresses, il indique avoir
+1200 ou 1500 URLs. Les sites `.onion` ont souvent une durée de vie assez
+courte.  Lesquelles sont donc encore valables ? Sa liste à la Prévert ne
+contient que des choses communément jugées moralement répréhensibles
+(quand elles ne sont pas illégales). Cela donne l'impression que ce sont
+les seules choses qui y existent. C'est une manipulation, vu que ce
+n'est pas le cas.
+
+Quelques autres traitements orientés
+====================================
+
+En plus des soucis mentionnés précédemment, l'assertion la plus
+problématique de l'émission est peut-être la réponse à la question
+« a-t-on une idée de ce que [les utilisateurs de Tor] vont chercher en
+priorité ? ». Hélène Chevallier répond « pour la moitié d'entre eux,
+c'est la drogue ».  La provenance de ce chiffre n'est absolument pas
+précisée. Vu le fonctionnement anonyme des services et du réseau, il est
+suspect et est, a priori, complètement « tiré du chapeau ».
+
+Plus tard, Hélène Chevallier explique : « Vous tapez trois mots clés dans un
+moteur de recherches et vous avez une liste de répertoires avec des
+sites illégaux sur Tor. » Pourquoi préciser « illégaux » ici ? C'est
+présenter comme si tous les sites accessibles uniquement via Tor étaient
+illégaux.
+
+On peut également entendre parler de « cyberdélinquants » : pourquoi
+« cyber » ? À part diaboliser les outils numériques, quel intérêt ?
+
+Lorsque François Paget présente assez longuement la pratique du
+[doxxing](https://fr.wikipedia.org/wiki/Doxxing), il ne précise jamais
+que ces fuites d'informations personnelles peuvent être diffusées
+n'importe où et que cette pratique n'a à aucun moment besoin de sites
+`.onion` ou d'autres technologies particulières.
+
+Des extraits du reportage ont été [diffusés le
+matin](http://www.franceinter.fr/emission-le-zoom-de-la-redaction-darknet-plongee-dans-le-marche-noir-du-web)
+dans le « zoom de la rédaction ». On peut y entendre un glissement de
+haute voltige. Après avoir présenté les sites permettant de se procurer
+des produits illégaux, il est expliqué que Tor est utilisé par des
+personnes soucieuses de leur vie privée et des journalistes pour
+protéger leur sources. Et juste ensuite, on entend que « le *dark net*
+[…] devient *également* la succursale des terroristes »…
+
+Il est important de rappeler que le problème que cherche à résoudre Tor
+est bien différent de celui que cherche à résoudre un groupe criminel.
+Ce dernier a besoin de communiquer sans se faire repérer pendant un
+temps assez court, de l'ordre de quelques mois, à une vingtaine de
+personnes tout au plus. Alors que Tor cherche à permettre à tout un
+chacun — donc potentiellement à des milliards de personnes — de
+conserver l'intimité de ses communications en ligne — et cela aussi
+longtemps que nécessaire.
+
+Quelques erreurs plus ou moins graves
+=====================================
+
+L'émission présente les *bitcoins* comme équivalents au liquide.
+Pourtant tous les échanges faits avec des *bitcoins* sont traçables.
+C'est même l'un de ses principes de
+[fonctionnement](http://linuxfr.org/users/gof/journaux/comment-fonctionne-bitcoin).
+Son anonymat est limité. Une personne ayant accès à une plateforme
+d'échanges avec des euros est parfaitement capable de faire le lien
+entre une carte bleue et les transactions *bitcoins* qui suivront.
+Difficile de faire de même avec des pièces et du papier.
+
+Tor est l'acronyme de « *Tor onion routing* » et non pas « *The Onion
+Router* ». Voir page 7 dans la [présentation historique de Paul
+Syverson](https://www.acsac.org/2011/program/keynotes/syverson.pdf)
+rédigée en 2011.
+
+Ce que [financent](https://www.torproject.org/about/financials.html.en)
+plusieurs branches différentes du gouvernement des USA est le
+développement des logiciels à travers l'organisation The Tor Project. Le
+réseau Tor est quant à lui mis en place par des bénévoles et des
+organisations comme Nos oignons. En tant que bénévole de l'association,
+Lunar ne participe donc qu'à l'entretien d'une mince fraction du réseau,
+contrairement à ce que le commentaire peut laisser penser.
+
+Seule une petite partie de la « [loi
+renseignement](http://wiki.laquadrature.net/PJL_relatif_au_renseignement/Analyse_du_PJL_Renseignement) »
+est inefficace face à un outil comme Tor, celle concernant la
+surveillance massive au niveau des fournisseurs d'accès et des
+hébergeurs. Les autres dispositions dangereuses pour les libertés
+individuelles et collectives sont bel et bien à craindre comme le
+droit pour les services de renseignements de pirater téléphones et
+ordinateurs de quiconque serait vu comme menaçant les intérêts
+économiques de l'état.
+
+Pour finir par une dernière remarque plus triviale, on entend plusieurs
+[mauvaises
+utilisations](http://www.bortzmeyer.org/cryptage-n-existe-pas.html) du
+terme « crypté » là où il aurait fallu dire « chiffré ».